Seul(s) au travail : éléments de problématisation sur les rapports entre isolement et santé au travail

Être seul au travail a rarement été considéré comme un sujet de recherche. Or d’anciens travaux portant sur la santé au travail et d’autres plus récent sur la solitude montrent que la question de l’isolement au travail est souvent associée à un nombre supérieur d’atteintes à la santé physique ou mentale. Ce constat a son importance dans le contexte actuel de pandémie où les salariés sont de plus en plus invités à exercer leurs activités en télétravail via les technologies de l’information et de la communication. Ces dernières sont pensées comme un palliatif efficace à l’activité collective en présentiel. Dans ces situations, les salariés sont rarement réellement considérés comme seuls car ils peuvent entrer en contact avec des tiers, collaborer à n’importe quel moment et en n’importe quel lieu via différents outils de communication.
Toutefois, deux approches développées dans les années 1980 nous amènent à relativiser ces considérations. La première est principalement issue du domaine de l’industrie. Elle porte sur l’étude de rapports d’accidents graves ou mortels de travailleurs physiquement isolés. Deux éléments ressortent de ces rapports. Tout d’abord, dans la plupart des situations, ces salariés ont été amenés à devoir parfois s’exposer, prendre des risques ou accomplir des tâches qui ne relevaient pas nécessairement de leurs compétences, mais qu’ils ont dues réaliser seul en absence d’assistance disponible. Ensuite, n’étant pas directement perceptibles par un tiers ni facilement localisables, les rapports d’accident ont mis en évidence des retards importants dans l’organisation des secours. Par la suite, des enquêtes menées auprès de cette population de salariés ont aussi mis en évidence que ces situations d’isolement, d’autonomie forcée, étaient difficiles à vivre. La seconde approche est plus clinique, on y parle plus d’atteinte à la santé mentale, de sentiment de solitude. Elle s’observe chez des salariés qui, exposés à différents facteurs de stress, se replient sur eux, réduisent progressivement leurs communications avec des tiers et finissent par remettre en cause le sens de leur travail, de leurs valeurs.
Après avoir posé des éléments de vocabulaire, l’approche présentée ici se proposera de mieux définir les situations d’isolement au travail pour ensuite les resituer dans leurs dynamiques. Un modèle cadre permettra de préciser les transitions, les ruptures parfois, entre chacune d’entre elles et d’identifier quatre situations types présentant des risques particuliers pour la santé qui peuvent, dans certains cas, se combiner. Qu’on parle d’autonomie, d’isolement physique ou de sentiment de solitude, la problématique de l’isolement sous toutes ses formes est posée en termes de capacité à accéder à une assistance en cas de nécessité. En entreprise, lorsque la question de l’isolement commence à être évoquée par les salariés, elle évoque très souvent une fragilisation des rapports au travail.