Quelle prévention des risques professionnels dans des organisations techno-centrées ? Illustrations à travers les travaux de prospective de l’INRS

Des chercheurs de l’université Stanford ont mis au point et expérimenté dans trois types de projets un mode d’organisation du travail basé sur une extrême flexibilité en termes de statut d’emploi et d’horaires de travail, et sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) : les flash organizations [1]. Chargé de piloter le développement d’un produit (un jeu de société, une application de transfert d’informations de santé d’un patient entre secouristes, ambulanciers et services d’urgence hospitalier, un outil web d’une entreprise), le chef de projet doit dans un premier temps procéder à l’analyse du sujet. Sur cette base, il effectue les premiers recrutements de spécialistes qui vont l’aider à mieux définir les spécifications des travaux à entreprendre, chacun dans son domaine de compétences. Ces embauches ont quelques particularités :
- Elles sont faites sous contrat commercial pour une durée maximale de quelques heures.
- Un algorithme (Foundry) se charge des recrutements : sur la base de l’offre d’emploi définie par le chef de projet, il recherche et classe par ordre de compatibilité les offres de services d’indépendants inscrits sur Upwork (une plateforme d’interface entre des clients et des travailleurs indépendants).
- Le premier figurant sur la liste établie par Foundry reçoit un mail lui proposant la mission : il a 10 minutes pour l’accepter ou la refuser. Elle doit être effectuée immédiatement et les résultats sont à transmettre dans la foulée au donneur d’ordres. En cas de non-réponse ou refus, le deuxième sur la liste reçoit la même proposition. Et ainsi de suite…
Quand les premiers retours sont disponibles, le chef de projet (seul, ou avec l’aide de collaborateurs embauchés selon le même principe) définit les nouvelles missions à effectuer, d’étape en étape jusqu’à la réalisation finale du produit.
Cette architecture peut sembler irréaliste. Les résultats pourtant sont là : pour les trois projets, la durée de réalisation a été de quelques semaines (bien inférieure à celle de constitution d’une équipe dédiée), les produits ont été jugés d’une qualité égale ou supérieure à celle d’autres produits conçus plus classiquement, toutes les missions proposées ont été pourvues en quelques minutes (12 à 15 en moyenne selon les projets).
Plusieurs éléments ont attiré l’attention des spécialistes de la prévention des risques professionnels : le travail isolé, sa fragmentation (quelques heures de contrat avec une vision minimale de ce qui a précédé et aucune sur la suite), la nécessité d’une disponibilité totale (jour et nuit, toute la semaine) ne sont pas a priori des paramètres favorisant l’épanouissement dans le travail. Si ce type de tâches peut assurer des revenus complémentaires ou permettre d’acquérir une reconnaissance professionnelle, sa généralisation comme activité principale (sans couverture sociale et avec les incertitudes d’emploi liées au travail indépendant) entraînerait une modification profonde du mode de fonctionnement du monde du travail avec un retentissement sur la prévention des risques professionnels (nature des risques, moyens et organisation de la prévention).
Le sujet est évoqué dans un article du New York Times consacré à Foundry :
« M. Bernstein [un des créateurs de Foundry] admet que l'inquiétude est légitime, mais il estime que les plateformes pourraient éventuellement atténuer l'insécurité en jouant un rôle que les entreprises ont toujours joué : fournir des avantages sociaux, compléter les revenus si les revenus des travailleurs indépendants sont trop faibles ou trop irréguliers, et même permettre aux travailleurs de se syndiquer. » [2]
Ce fut une incitation pour la mission Veille et prospective de l’INRS pour suivre sur ces questions pour savoir si les hypothèses de Bernstein avaient été vérifiées alors que les TIC sont de plus en plus intégrées dans l’organisation et la production.