Accès rapides :

Vous êtes ici :

  1. Accueil
  2. Publications et outils
  3. Bases de données
  4. Fiches toxicologiques
  5. Chromates et dichromates de sodium et de potassium (FT 180) (rubrique sélectionnée)

Chromates et dichromates de sodium et de potassium

Fiche toxicologique n° 180

Sommaire de la fiche

Édition : Juillet 2022

Pathologie - Toxicologie

  • Toxicocinétique - Métabolisme [2, 12]

    Les données de toxicocinétique disponibles indiquent que les composés solubles du chrome (VI) [Cr (VI)] ont un com­portement identique entre eux et entre les espèces y com­pris l'homme (bien que les connaissances soient limitées) : ils sont bien absorbés par le tractus respiratoire, moins par le tractus gastro-intestinal et peu par voie cutanée, large­ment distribués dans l'organisme et éliminés dans l'urine et les fèces.

    Chez l'animal
    Absorption

    Après exposition par inhalation, 20 à 30% du Cr (VI) admi­nistré sont rapidement absorbés par le tractus respira­toire, une certaine quantité est éliminée des poumons par clairance mucociliaire dans le tractus gastro-intestinal ; le reste est éliminé plus lentement et des quantités signifi­catives persistent dans les poumons plusieurs semaines (demi-vie d'élimination pulmonaire chez le rat: 120-150 h).

    Après exposition orale, l'absorption est faible dans le trac­tus gastro-intestinal du rat et de la souris (1 à 3%, jusqu'à 11% en absence de nourriture) ou de l'homme (2-9%); ceci serait dû à la réduction, par l'acidité gastrique, du Cr (VI) en Cr (III) qui est peu absorbé. Le cobaye, en revan­che, absorbe jusqu'à 18% de la dose orale, même en pré­sence de nourriture.

    L'absorption cutanée chez le cobaye varie de moins de 1% à 4% selon la dose appliquée.

    Distribution

    Après absorption, le Cr (VI) pénètre en partie dans les éry­throcytes où il est réduit en Cr (III) qui se fixe sur l'hémo­globine et y persiste plusieurs semaines. Le Cr (VI) est rapidement éliminé du plasma ; il est largement et rapi­
    dement distribué à tout l'organisme ; sa présence dans les organes décroît après 24 h sauf dans la rate où la concen­tration augmente pendant plusieurs semaines par clai­rance des érythrocytes sénescents.

    Après expositions répétées, le chrome s'accumule dans les organes et tissus, en particulier les poumons, le foie, la rate, le duodénum, les reins, les surrénales et les testicules.

    Une administration parentérale de 51Cr (VI) à des rates ou des souris gestantes provoque un transfert rapide de molécules radiomarquées aux fœtus avec une distribu­tion générale après 1 h et une fixation spécifique au sque­lette après 24 h.

    Métabolisme

    Le Cr (VI) est réduit dans les organes et en particulier dans le foie en Cr (III) qui forme des complexes avec le gluta­thion et d'autres substances de faible poids moléculaire; ces complexes sont éliminés par la bile. Lors de cette réduction se forme du Cr (V) intermédiaire réactif proba­blement responsable de la toxicité.

    Excrétion

    Chez l'animal, le Cr (VI) est éliminé sous forme de Cr (III) dans l'urine (20-67% en 7 à 10 jours après inhalation chez le rat) et les fèces (jusqu'à 25%).

    Chez l'homme, l'excrétion est essentiellement urinaire (> 80 %) et faiblement fécale. L'élimination urinaire est tri- phasique (demi-vies d'élimination : 7 heures, 15 à 30 jours, 4 ans). Il y a accumulation du chrome au cours de la semaine et tout au long de l'année chez les personnes les plus exposées.

    Le Cr (VI) peut également être éliminé de façon mineure dans les cheveux, les ongles, le lait et la sueur.

    Surveillance Biologique de l'exposition

    En raison de la réduction rapide du chrome hexavalent en chrome trivalent après absorption, les concentrations de chrome sanguin et urinaire reflètent la quantité totale de chrome absorbé. Elles ne sont pas spécifiques des expositions professionnelles au chrome VI car elles intègrent également les expositions au chrome III et au chrome métal (chrome élémentaire, chrome 0).

    • Le dosage du chrome urinaire, prélèvement fait en fin de poste de travail  et fin de semaine, est un bon indicateur de l'exposition récente de la semaine mais également de l'exposition ancienne à toutes les formes de chrome (VI, III et métal). Des prélèvements en début et fin de poste permettent une bonne évaluation de l'exposition de la journée au chrome soluble. Même après plusieurs mois d'arrêt d'exposition, la chromurie peut rester supérieure aux valeurs de la population générale.
    • Le dosage du chrome sur sang total ou sur sérum en fin de poste et fin de semaine refléterait pour le chrome sérique l'exposition récente (des deux jours précédents) et pour le chrome sanguin total l'exposition à long terme mais également l'exposition récente au chrome. Ce paramètre est bien corrélé au chrome urinaire.
    • Le dosage du chrome intraérythrocytaire serait spécifique de l'exposition au chrome hexavalent.  En l’absence de donnée suffisante, ce dosage ne peut être proposé en routine. 

    Des valeurs biologiques d’interprétation  en population professionnellement exposée et en population générale ont été établies pour le chrome urinaire.

  • Mode d'actions
  • Toxicité expérimentale
    Toxicité aiguë [1, 13]

    Les composés du Cr (VI) solubles étudiés sont très toxiques par inhalation et toxiques par ingestion. Ils sont corrosifs et sensibilisants.

    Les cibles sont, selon l'exposition, le tractus respiratoire (oedème pulmonaire, inflammation et nécrose épithéliale de la trachée) ou le tractus gastro-intestinal (érosion de la muqueuse) et les reins (néphrite). Les réponses systémi­ques sont moins sévères par voie cutanée, une grande par­tie du Cr (VI) reste dans la peau ; un effet corrosif cutané peut apparaître selon le pH de la solution du composé.

    Une administration parentérale de 1 à 10 mg Cr (VI)/kg induit une baisse du taux d'hémoglobine et des lésions hépatiques et rénales chez le rat, la souris, le lapin et le cobaye.

     

    • Irritation

    Appliqués sur la peau abrasée ou non du lapin, les chro­mates et dichromates de sodium et de potassium provo­quent une irritation (érythème et oedème) d'intensité semblable, non réversible en 6 jours ; l'abrasion de la peau ne modifie pas la réponse. Chez le cobaye, le dichromate de potassium en applications répétées (> 50 mM de Cr (VI)) sur la peau, pendant au moins 10 jours, provoque un éry­thème, de sévérité croissante avec la concentration et le degré de traumatisme de la peau, jusqu'à l'ulcère chro- mique avec eschares et nécrose des tissus sous-jacents.

    Une solution neutralisée de chromate de sodium n'est pas irritante pour l'œil du lapin; des administrations journa­lières de dichromate de potassium en poudre pendant 7 jours provoquent une irritation sévère incluant nécrose de la conjonctive et ulcération de la cornée.

     

    • Sensibilisation cutanée

    Les dichromates de sodium et de potassium sont sensibi­lisants pour le cobaye (test de maximalisation) et la souris (test de gonflement de l'oreille). Une réaction croisée a été montrée avec le Cr (III), supportant l'hypothèse selon laquelle le Cr (III) serait l'haptène ultime après réduction du Cr (VI) dans la peau.

    Toxicité subchronique, chronique [1, 13, 14]

    Les chromates et dichromates de sodium et de potassium sont toxiques lors d'une exposition répétée ou prolongée par inhalation (effets corrosif et inflammatoire sur le tractus respiratoire).

    Les animaux, exposés par inhalation aux chromates et dichromates de sodium et de potassium, présentent des effets toxiques limités au tractus respiratoire (ulcération et perforation du septum nasal, nécrose, inflammation, hyperplasie ou métaplasie sur toute la longueur du trac­tus respiratoire, emphysème), à des concentrations supé­rieures à 1 mg Cr (VI)/m3. Aux concentrations inférieures ou égales à 1 mg Cr (VI)/m3, il y a une baisse de la prise de poids et, dans un cas (chromate de sodium), létalité chez la souris. Des injections intratrachéales produisent inflammation, fibrose et emphysème pulmonaire.

    Des concentrations faibles de dichromate de sodium (0,06 mg/m3 soit 0,025 mg Cr (VI)/m3) induisent une aug­mentation de l'activité des macrophages alvéolaires et des lymphocytes spléniques après 90 jours d'exposition du rat; en revanche des concentrations plus élevées (0,57 mg/m3 soit 0,2 mg Cr (VI)/m3) inhibent la phagocy­tose des macrophages et l'immunité humorale.

    Par voie orale, des doses répétées de composés solubles de Cr (VI) jusqu'à 200 ppm dans l'eau de boisson ne produi­sent pas de signe de toxicité ; à des doses supérieures, on note une forte baisse de la prise de poids. Une dégénéres­cence testiculaire est observée chez le rat exposé par voie orale (gavage) à des doses induisant une forte baisse de la prise de poids (40 mg/kg/j de dichromate de sodium soit 14 mg Cr(VI)/kg/j, 90 j). Le dichromate de potassium, en revanche, n'induit pas d'effet testiculaire à des doses de 24 mg/kg/j (8 mg Cr(VI)/kg/j) chez le rat et 92 mg/kg/j (32 mg Cr(VI)/kg/j) chez la souris pendant 9 semaines.

    Effets génotoxiques [1, 13]

    Les chromates et dichromates de sodium et de potassium ont des effets  mutagènes in vivo et in vitro sur cellules somatiques et/ou germinales.

    Les résultats des tests pratiqués in vitro avec les composés solubles du Cr (VI) sont généralement positifs :

    • mutations et lésions de l'ADN dans les bactéries,
    • mutations, conversion génique, disomie et diploïdie dans les levures,
    • mutations géniques, lésions de l'ADN, aberrations chromosomiques, échanges entre chromatides sœurs, synthèse non programmée de l'ADN et transformation dans les cellules de mammifères,
    • pertes chromosomiques ou non-séparation des deux chromosomes néoformés, mutations létales récessives liées au sexe et mutations somatiques des cellules lar­vaires chez la drosophile.

    La génotoxicité in vitro est considérablement diminuée en présence d'agents réducteurs, comme les activateurs métaboliques, le suc gastrique ou le glutathion, etc., qui réduisent le Cr (VI) en Cr (III) hors de la cellule, ce qui dimi­nue sa pénétration.

     

    In vivo, la génotoxicité des chromates et dichromates de sodium et de potassium a surtout été étudiée après expo­sition parentérale de rats et de souris; ces substances induisent:

    • des aberrations chromosomiques et des micronoyaux dans la moelle osseuse,
    • des cassures de l'ADN et des liaisons croisées ADN-ADN ou ADN-protéines dans le foie, les reins et les poumons,
    • des mutations somatiques [chromate de potassium, spot test chez la souris, voie intra-péritonéale (ip)],
    • des mutations dans les cellules germina­les (dichromate de potassium : test de létalité dominante douteux, induction d'anomalies spermatiques, souris, ip).
    Effets cancérogènes [1, 14, 15]

    Les chromates et dichromates de sodium et de potassium ont des effets cancérogènes et sont classés cancérogènes dans le groupe 1 par le CIRC.

    Peu d'études de cancérogenèse chez l'animal sont dispo­nibles avec les chromates ou dichromates alcalins.

    Le dichromate de sodium est cancérogène pour le rat par inhalation continue d'aérosol (100 µg/m3, 22 h/j, 7 j/sem., 18 mois) (adénomes et adénocarcinomes pulmonaires, carcinomes à cellules squameuses du pharynx) ou par instillations intratrachéales répétées (1,25 mg/kg, 1 fois/sem., 30 mois) (adénomes et adénocarcinomes broncho-alvéolaires, carcinomes à cellules squameuses).

    Il n'y a pas d'augmentation de l'incidence des tumeurs locales après administration par voie intrabronchique, intrapleurale ou intramusculaire.

    Par voie orale, le dichromate de potassium (25 ppm dans l'eau de boisson, 1 an) n'induit pas de tumeur chez le rat.

    Le chromate de potassium, administré dans l'eau de bois­son (0,5-2,5-5 ppm pendant 182 jours), augmente, chez la souris «nude», le taux de tumeurs cutanées induites par les rayons UV[15].

    Effets sur la reproduction [1, 13]

    Les chromates et dichromates de sodium et le dichromate de potassium modifient la ferti­lité et sont fœtotoxiques à des doses non toxiques pour les mères.

    Fertilité

    Des effets sur la fertilité de la souris ont été montrés avec le dichromate de potassium dans l'eau de boisson pen­dant 12 semaines à partir de 120 mg Cr (VI)/kg/j chez le mâle (augmentation du poids relatif des testicules, baisse du poids relatif des vésicules séminales et de la glande préputiale) et 40 mg Cr (VI)/kg/j chez la femelle (aug­mentation du poids relatif des ovaires, diminution du nombre moyen d'implantations et de fœtus viables). Il n'y a pas d'effets sur les organes génitaux ou la fertilité pour une dose inférieure ou égale à 30 mg Cr (VI)/kg/j dans la nourriture pendant deux générations.

    Le dichromate de sodium administré au rat par gavage (14 mg Cr (VI)/kg/j) pendant 90 jours provoque une dégé­nérescence testiculaire associée à une diminution de la prise de poids. Un tel effet n'a pu être montré avec le dichromate de potassium administré par voie orale pen­dant 9 semaines à des rats (8 mg Cr (VI)/kg/j) ou des sou­ris (32 mg Cr (VI)/kg/j).

    Développement

    Une toxicité pour le développement (pertes post-implantatoires et résorptions, réduction de la taille des portées, du poids fœtal, de la longueur tête-queue, augmentation du taux de queues raccourcies et de taches hémorra­giques sous-dermiques, retard d'ossification de l'os parié­tal, interpariétal et caudal) est induite, chez la souris, par le dichromate de potassium à des doses non toxiques pour les mères (à partir de 20 mg Cr (VI)/kg/j dans l'eau de boisson soit pendant 20 jours avant la gestation, soit du 1er au 19e ou du 6e au 14e jour de gestation). Cette fœtotoxicité n'est pas accompagnée de malformations.

  • Toxicité sur l’Homme

    Par voie orale, les chromates et dichromates sont fortement corrosifs, et peuvent entrainer des atteintes digestives, une insuffisance hépatique et rénale ; une atteinte cardiaque est possible avec le dichromate de potassium. Des nécroses locales et des manifestations générales sont rapportées par application cutanée de chromates ; il s’agit également d’irritants sévères pour l’œil. Par inhalation, les dérivés du chrome VI entrainent une forte irritation et inflammation des voies respiratoires. L’exposition répétée entraine des atteintes sévères (ulcérations) de la peau et les muqueuses nasales ainsi que des manifestations allergiques cutanées et respiratoires. Des effets génotoxiques sont rapportés ainsi que des excès de risques de cancers pulmonaires ou des sinus. Une baisse de la qualité du sperme est notée chez des sujets exposés à des fumées contenant des dérivés du chrome VI, mais il n’y a pas de donnée indiquant une atteinte de la fertilité ou du développement.

    Toxicité aiguë [1, 16]

    L'ingestion d'une quantité importante de chromates ou de dichromates provoque une action corrosive importante qui se traduit par des troubles digestifs (gastro-entérite hémorragique, vomissements, diarrhée). Ensuite appa­raissent une insuffisance hépatocellulaire avec cytolyse et une insuffisance rénale par atteinte des cellules épithélia­les des tubules proximaux. Lors d'ingestion de dichromate de potassium, une atteinte cardiaque peut également survenir.

    L'inhalation d'aérosols de dérivés du chrome VI provoque une forte irritation et inflammation du tractus respira­toire associée à des douleurs nasale et thoracique, une toux, une dyspnée et une cyanose.

    L'application cutanée peut être à l'origine de nécroses ; les lésions locales liées au contact cutané favorisent la péné­tration des chromates et peuvent provoquer des manifes­tations générales (digestives et rénales).

    Les projections oculaires de chromates solubles entraî­nent des irritations sévères de l'œil; elles incluent une conjonctivite ainsi que des atteintes cornéennes (inflam­mation, érosion, ulcération). Ces effets sont liés au pH bas des produits.

    Toxicité chronique [1, 16]

    La peau et les muqueuses sont les organes les plus atteints. Les chromates et dichromates provoquent des ulcérations cutanées (pigeonneaux indolores ou rossi­gnols douloureux) qui surviennent spontanément ou après excoriation. Ces ulcérations sont torpides et persis­tent souvent des mois. La fréquence de ces altérations a largement diminué avec l'amélioration des conditions d'hygiène et de travail.

    Des dermatoses allergiques des mains et des avant-bras sont fréquemment rencontrées et seront confirmées par des tests épicutanés.

    L'action corrosive sur les muqueuses nasales se manifeste au maximum par la perforation de la cloison nasale.

    Au niveau pulmonaire, on peut observer des asthmes allergiques avec des réactions positives lors de tests de provocation bronchique ou de tests cutanés. Une atteinte chronique obstructive peut également être retrouvée notamment lors d'épreuves fonctionnelles respiratoires.

    Effets génotoxiques [1, 15]

    Plusieurs études épidémiologiques ont retrouvé des ano­malies génétiques sur des cellules de travailleurs exposés à des dérivés solubles du chrome: aberration chromoso­mique, échange de chromatides sœurs. Ces résultats ne sont cependant pas confirmés dans tous les cas.

    Effets cancérogènes [15, 16]

    Les chromates peuvent provoquer des tumeurs pulmonai­res dans des conditions de forte exposition : production de ces composés et fabrication de pigments. Une augmenta­tion de la fréquence des cancers des sinus est également notée dans plusieurs études épidémiologiques menées dans le secteur de la production de chromates. La sub­stance responsable de ces tumeurs n'est pas clairement identifiée même si le chrome hexavalent est le plus sou­vent cité.

    Effets sur la reproduction [1, 17]

    Quelques études sur des soudeurs exposés à des fumées contenant des dérivés du chrome (VI) ont révélé une dimi­nution de la qualité du sperme. Dans ces études, les fac­teurs de confusion n'étaient pas correctement pris en compte. Il n'y a pas de donnée humaine indiquant une atteinte de la fertilité ou du développement.

  • Interférences métaboliques
  • Cohérence des réponses biologiques chez l'homme et l'animal
EN SAVOIR PLUS SUR LES FICHES TOXICOLOGIQUES